La barrière hémato-encéphalique (BHE) permet d’isoler le cerveau de la circulation sanguine et d’empêcher que des microbes indésirables, des toxines ainsi que des substances étrangères toxiques et non désirées y pénètrent. Mais elle n’est pas vraiment une barrière physique comme pourrait l’être la barrière intestinale. En réalité, c’est plutôt une caractéristique unique des vaisseaux sanguins qui vascularisent le système nerveux central (SNC), une caractéristique qui leur permet d’être sélectifs et de laisser passer uniquement les nutriments indispensables au fonctionnement du cerveau et d’évacuer les déchets produits par ce fonctionnement. En ce sens, il est plus précis de parler de « propriété de barrière » de ces vaisseaux sanguins. Les altérations de ces propriétés de barrière sont un élément important de la progression de différentes atteintes neurologiques dégénératives.
LES CARACTÉRISTIQUES UNIQUES DE LA BHE
Il s’agit d’un réseau de plus de 100 milliards de capillaires dont la longueur totale avoisine 600 km pour un adulte. La fonction de barrière propre aux vaisseaux du SNC est réalisée par plusieurs types de cellules à la fois :
- Les cellules endothéliales sont les cellules qui forment la paroi des vaisseaux sanguins. Elles vont réaliser une étanchéité par une jonction serrée entre les cellules, tout comme la jonction serrée propre aux cellules des intestins. L'étanchéité de la barrière peut être quantifiée par sa résistance électrique. Plus la résistance est élevée, moins la barrière est perméable.
- Les cellules murales sont les cellules des muscles lisses du système vasculaire que l’on nomme péricytes. Lorsque les péricytes font défaut, on constate l’ouverture d’un passage dans la paroi des capillaires, de sorte que des molécules de diverses tailles pénètrent dans le cerveau, y compris des protéines indésirables. Les chercheurs déclarent que les péricytes régulent également le fonctionnement des astrocytes que nous allons voir après.
- Les cellules gliales sont les cellules qui forment l'environnement des neurones que l’on nomme astrocytes. Ils ont été identifiés comme des médiateurs importants de la formation et de la fonction de la BHE. Ils réalisent aussi un lien entre les circuits neuronaux et les vaisseaux sanguins, en relayant les signaux qui régulent le flux sanguin au travers de la BHE en réponse à l'activité neuronale.
LES DEUX PROCESSUS QUI ALTÈRENT LA BHE
L’inflammation perturbe la BHE et cela entraîne différentes pathologies du SNC¹. Cette perturbation se traduisant par une perméabilité accrue ou le contraire². L’inflammation a de multiples causes : une alimentation pro-inflammatoire, un stress élevé ou chronique, une infection, etc. On sait d’ailleurs que des épisodes de stress intense et le stress chronique peuvent endommager la BHE³. Prenons l’exemple des retombées de la guerre du Golfe en 1991, après laquelle de plus en plus de soldats de la coalition dirigée par les États-Unis souffraient de fatigue chronique, de douleurs musculaires, de troubles du sommeil et cognitifs, et se retrouvaient en général davantage hospitalisés que les anciens combattants non déployés sur le terrain. Certains médecins pensaient que la pyridostigmine, un médicament administré aux militaires pour les protéger des armes chimiques, provoquait peut-être ces symptômes s’il atteignait leur cerveau. Il apparaissait que seuls les soldats qui étaient sur le front, donc exposés à un stress intense et long, avaient présenté ces symptômes⁴. Autre exemple, la nature et l’intensité des troubles neurologiques associés à la covid (insomnie, agueusie, dépression, perte de l’odorat, etc.) pourraient donc être la résultante d’une altération importante du fonctionnement de la BHE suite à la « tempête cytokinique pro-inflammatoire » caractéristique de la rencontre avec le virus.
Le vieillissement cellulaire résulte de l’excès de radicaux libres issus d’un mode de vie délétère : alimentation pauvre en antioxydants et riche en radicaux libres (produits du glycation avancé, réaction de Maillard), trop de métabolisme conduisant à l’accumulation de déchets et au stress oxydatif, sédentarité, etc. Ce vieillissement participe à l’altération de la BHE⁵. Mais comme nous vous l’avons expliqué dans le magazine n°4 Longévité en santé, l''ge chronologique n’est pas l’'ge biologique. Vous pouvez être avancé(e) en 'ge et avoir des tissus en bonne santé non impactés par le vieillissement cellulaire.
LES CONSÉQUENCES DE L’ALTÉRATION DE LA BHE
Comme cela est clairement présenté dans les articles de ce numéro, l'hyperperméabilité de la BHE est associée à la plupart des troubles cognitifs et neurodégénératifs. On assiste alors au passage d’indésirables (toxines, bactéries, virus, champignons, cellules du système immunitaire, métaux, etc.). Le passage de microbes est considéré comme facteur causal de la neurodégénération, pourtant ce n’est pas le point de vue de l’hygiénisme. Au contraire, nous postulons que la perméabilité de la BHE causée par un état inflammatoire permet le passage de ces virus et bactéries afin de diminuer la charge toxique à l'intérieur du cerveau. Cette hypothèse va orienter les pratiques de soin ultérieures. Il s’agit alors d’éliminer d’abord la source de l’état inflammatoire et de la toxicité cérébrale pour que la BHE retrouve ses fonctions d’elle-même. Le passage de produits toxiques dans le cerveau comme des métaux lourds ou des pesticides suite à l’altération de la BHE est un effet secondaire délétère d’un mécanisme adaptatif salutaire du corps.
RESTAURER LA BHE EN SUPPRIMANT LA CAUSE DE SA PERTURBATION
Le cerveau comme la BHE sont des organes hautement plastiques, ce qui est une bonne nouvelle. Autant leur fonctionnement peut être altéré et leur structure endommagée, autant il est possible d’y remédier. Comme nous l’avons évoqué, pour rétablir la fonction de la BHE, il ne s’agit pas tant d’intervenir mécaniquement et spécifiquement sur cette barrière, il s’agira plutôt de supprimer les causes de sa perturbation.
Pour limiter l’inflammation et le vieillissement cellulaire :
- Réduire le stress par différentes techniques de gestion du stress (EFT, respiration, méditation, etc.) et de relaxation (massage, sophrologie, bain chaud, etc.).
- Adopter une alimentation hypotoxique et anti-inflammatoire : pour ne pas nous répéter, nous vous renvoyons à l’ensemble des paragraphes parlant d’alimentation dans ce magazine ou de vous procurer le numéro 15, L’alimentation physiologique, pour en savoir plus. Mais voici quelques conseils spécifiques :
- S’assurer d’un bon apport en micronutriments : les vitamines du groupe B sont primordiales pour restaurer le fonctionnement de la BHE. Il en est de même pour la vitamine D, la vitamine E, la vitamine C, le magnésium, le sélénium et l’iode.
- Consommer des crucifères (choux) : le sulforaphane est un composé phytochimique présent dans les légumes crucifères tels que le brocoli, les choux de Bruxelles ou les choux. Il a de puissantes actions antioxydantes et anti-inflammatoires, similaires à la curcumine. De nombreuses études ont montré qu'il peut prévenir la rupture de la BHE, réduire sa perméabilité et améliorer la fonction cognitive après un AVC et des lésions cérébrales traumatiques⁶.
- Consommer beaucoup d’aliments riches en antioxydants : le resvératrol du raisin, le pterostilbene dans les myrtilles et globalement tous les composés antioxydants présents dans les fruits et les légumes agissent d’une façon extrêmement salutaire sur la santé du cerveau et la BHE⁷.
- Consommer des oméga-3 : ils augmentent les quantités d’hormones de croissance à l’intérieur du cerveau, diminuent la perméabilité associée à l''ge. En cas de manque d’oméga-3 l’inflammation s’accélère, les réactions immunitaires sont anormalement amplifiées⁸.
- La berbérine et la curcumine : ces deux composés naturels ont d’importantes propriétés de régulation de l’inflammation. C’est certainement pour ces raisons que ces deux composés ont été testé avec succès pour restaurer la BHE et réduire la perméabilité⁹.
- Supprimer systématiquement le gluten : il a été démontré que le gluten perturbe la BHE en élevant la production de zonuline¹⁰.
- Soigner les intestins : « Fire in the gut, fire in the brain », expression qui se traduit par « le feu dans les intestins, le feu dans le cerveau ». Il existe une connexion claire entre notre cerveau et notre système digestif. Pour aider nos intestins, il existe un panel de techniques comme l’ingestion d’argile et d’aloe vera, le repos digestif par le jeûne, les lavements et l’hydrothérapie du côlon, la consommation de prébiotiques et de probiotiques.
- Éviter toute consommation régulière d’alcool : nombre des effets destructeurs d’une consommation chronique d’alcool sur la BHE pourraient être liés au stress induit par une telle consommation (hypothermie chronique entre autres)¹¹.
- Limiter l’exposition aux champs électromagnétiques artificiels : de plus en plus de recherches montrent que les champs électromagnétiques de radiofréquence émis par le WiFi, les ordinateurs portables et les téléphones portables affectent négativement le cerveau, en particulier en altérant la BHE¹². Nous vous invitons donc à couper le WiFi au moins la nuit et si possible aussi la journée en installant un réseau filaire chez vous, ne pas porter systématiquement son téléphone portable sur vous et quand c’est le cas l’éteindre ou le mettre en mode avion, acquérir un appareil de mesure des champs électromagnétiques qui va vous permettre d’objectiver votre exposition réelle aux différents champs électromagnétiques, vous équiper de systèmes de protection comme les baldaquins ou les couvertures anti-ondes (penser à protéger le sol aussi si la pollution vient du voisin au-dessous).
- Favoriser un bon sommeil réparateur : il a été démontré que la restriction du sommeil altère le fonctionnement de la barrière hémato-encéphalique et augmente sa perméabilité¹³. La mélatonine, hormone libérée par la glande pinéale en fonction de la luminosité ambiante, aide à contrôler les cycles de sommeil et d'éveil (rythme circadien), et des niveaux adéquats de mélatonine sont nécessaires pour s'endormir rapidement et dormir profondément toute la nuit. La recherche montre que cette hormone peut renforcer la BHE et prévenir les dommages causés par une lésion cérébrale traumatique¹⁴.
- Éviter l’exposition aux moisissures et mycotoxines : en 2010, des chercheurs ont conclu que l'exposition aux moisissures et aux mycotoxines (toxines produites par les champignons dans des environnements humides) dans un environnement intérieur peut causer des dommages neurologiques, en particulier en affaiblissant la BHE¹⁵.
- Ne pas fumer : l'exposition quotidienne à la nicotine modifie non seulement la fonction mais aussi la structure de la BHE¹⁶. Des méta-analyses établissent que les fumeurs ont un risque significativement plus élevé de démence par maladie d'Alzheimer que les non-fumeurs.
Sources :
¹Source : Peripheral inflammation and blood-brain barrier disruption: effects and mechanisms, 2020 (Xiaowen Huang et al.)
²Source : The blood-brain barrier in systemic inflammation, 2016 (Aravinthan Varatharaj, Ian Galea)
³Source : Stress-induced blood brain barrier disruption: Molecular mechanisms and signaling pathways, 2020 (Menizibeya O. Welcome and Nikos E Mastorakis) / Restraint Stress Induced Hyperpermeability and Damage of the Blood-Brain Barrier in the Amygdala of Adult Rats, 2019 (Guangming Xu et al.)
⁴Source : Quand le bouclier du cerveau se fissure , 2022 (Daniela Kaufer et Alon Friedman) / Pyridostigmine brain penetration under stress enhances neuronal excitability and induces early immediate transcriptional response, 1999 (Alon Friedman et al.)
⁵Source : Blood–Brain Barrier Breakdown: An Emerging Biomarker of Cognitive Impairment in Normal Aging and Dementia, 2021 (Basharat Hussain et al.) / Blood-brain barrier dysfunction in aging induces hyperactivation of TGFβ signaling and chronic yet reversible neural dysfunction, 2019 (Vladimir V. et al.)
⁶Source : Sulforaphane Protects against Brain Diseases: Roles of Cytoprotective Enzymes, 2019 (Y Sun et al.) / The neuroprotective mechanisms and effects of sulforaphane, 2019 (Eric A Klomparens, Yuchuan Ding)
⁷Source : Effects of pterostilbene and resveratrol on brain and behavior, 2015 (Shibu M Poulose et al.) / Bioactive compounds of edible fruits with their anti-aging properties: A comprehensive review to prolong human life, 2020 (Rajni Dhalaria et al.)
⁸Source : Omega-3 fatty acid supplementation decreases matrix metalloproteinase-9 production in relapsing-remitting multiple sclerosis, 2009 (L Shinto et al.) / The effects of omega-3 fatty acids on matrix metalloproteinase-9 production and cell migration in human immune cells: implications for multiple sclerosis, 2011 (L Shinto et al.) / Efficacy of fish oil serum of TNF α, IL-1 β, ad IL-9 oxidative stress markers in multiple sclerosis treated with interferon beta-1b, 2013 (V Ramirez-Ramirez et al.) / Omega-3 fatty acids are associated with blood-brain barrier integrity in a healthy aging population, 2021 (Samuel Barnes et al.)
⁹Source : Synergic Effects of Berberine and Curcumin on Improving Cognitive Function in an Alzheimer’s Disease Mouse Model, 2022 (Jia-Wen Shou and Pang-Chui Shaw)
¹⁰Source : Zonulin, a regulator of epithelial and endothelial barrier functions, and its involvement in chronic inflammatory diseases, 2016 (Craig Sturgeona and Alessio Fasano)
¹¹Source : Comparison of lipid-mediated blood-brain-barrier penetrability in neonates and adults, 1982 (EM Cornford et al.) / Effects of profound hypothermia on the blood-brain barrier permeability in acute and chronically ethanol treated rats, 2001 (Imdat Elmas et al.) / Weakening of the blood-brain barrier by alcohol-related stresses in the rat, 1982 (S. C. Phillips and B. G. Cragg)
¹²Source : Increased permeability of the blood-brain barrier induced by magnetic and electromagnetic fields, 1992 (B. R. Persson, et al.) / Nerve cell damage in mammalian brain after exposure to microwaves from GSM mobile phones, 2003 (Leif G. Salford et al.) / Radiofrequency and extremely low-frequency electromagnetic field effects on the blood-brain barrier, 2008 (Henrietta Nittby et al.) / Blood-brain barrier permeability and nerve cell damage in rat brain 14 and 28 days after exposure to microwaves from GSM mobile phones, 2008 (Jacob L. Eberhardt et al.) / Permeability of the blood-brain barrier induced by 915 MHz electromagnetic radiation, continuous wave and modulated at 8, 16, 50, and 200 Hz, 1994 (LG Salford et al.) / avis du CSIF-CEM sur les effets des radiofréquences sur la barrière hémato-encéphalique, 2003 (Robin Des Toits)
¹³Source : Sleep Restriction Impairs Blood–Brain Barrier Function, 2014 (Junyun He et al.)
¹⁴Source : Melatonin in Traumatic Brain Injury and Cognition, 2021 (Brian Blum et al.)
¹⁵Source : Building-associated neurological damage modeled in human cells: a mechanism of neurotoxic effects by exposure to mycotoxins in the indoor environment, 2010 (Enusha Karunasena et al.)
¹⁶Source : Smoking, dementia and cognitive decline in the elderly, a systematic review, 2008 (Ruth Peters et al.) / Nicotine and cotinine modulate cerebral microvascular permeability and protein expression of ZO-1 through nicotinic acetylcholine receptors expressed on brain endothelial cells, 2002 (Thomas J. Abbruscato et al.) / Nicotine increases in vivo blood-brain barrier permeability and alters cerebral microvascular tight junction protein distribution, 2004 (Brian T. Hawkins et al.) / Enhanced Escherichia coli invasion of human brain microvascular endothelial cells is associated with alterations in cytoskeleton induced by nicotine, 2002 (Yu-Hua Chen et al.)
Cet article a été rédigé par Estelle Sovanna et il est issu du magazine Régénère n°16 "Cerveau, corps et santé".